bien vu l'aveugle
Cette anecdote se passe au boulot. En fait elle s'est passée aujourd'hui.
Le téléphone sonne, et comme je suis le seul qui ne fait rien, je décide, après trois sonneries, de décrocher.
"Nicolas-librairie-bonjour.
-Salut c'est Mickael de la caisse.
-Ah salut, ça va? (Je ne sais pas qui est Mickael, et je me fous de savoir comment il va)
-Dis-moi, tu voudrais pas m'envoyer quelqu'un à l'accueil, il y a une non-voyante qui a besoin de se faire accompagner en rayon."
Je sens un soupçon de mépris dans sa voix, une sorte de lassitude vis à vis des assistés qui transparait clairement, rien que dans sa façon de prononcer le mot "non-voyant". Je hais ces termes
politiquement corrects.
"Ok J'arrive."
Je raccroche et je dis à mes collègues que je vais chercher une aveugle à l'entrée du magasin.
***
Après lui avoir donner ce qu'elle voulait - un livre d'histoires qui se seraient passées pendant l'été, de Gonzague Saint bris, racontée par le maitre lui-même sur un cd bonus
gracieusement offert par les éditions qui sortent cette daube - elle me dit qu'elle a besoin d'un cd "avec de la musique dedans", un obscur titre qui mettrait en cause toute une bande de
yéyés poilus, si j'ai bien compris.
Je prends ma voix de démago-qui-explique-aux-vieux :
"Alors venez avec moi madame, c'est pas moi qui m'en occupe, ce sont mes collègues du rayon disque."
Je marche assez vite, et elle me suit très bien, accrochée à mon bras. Tous les gens s'écartent sur notre passage, et c'est assez chouette de les voir éviter la canne blanche de la vieille. J'ai
même failli lui faire faire un petit détour par le rayon mangas, histoire qu'elle cogne par inadvertance un ou deux boutonneux.
Arrivés au rayon musique, j'interpelle un de mes collègues qui fait semblant de ne pas m'avoir vu, puis j'arrive à en alpaguer un autre, qui avait fort à faire avec un vieux casse-pieds qui
revenait des Antilles et qui voulait absolument découvrir le zouk love. J'arrive à lui refourguer ma cliente, car j'étais en retard de trois minutes sur mon heure de déjeuner.
"Voilà, je vous laisse voir avec mon collègue pour votre CD?
-Pardon?
-Je vous laisse aux soins de mon collègue qui va vous trouver votre CD?"
Je suis sûr qu'elle m'a senti rougir. Autant de chaleur monter aussi vite aux joues, ça se sent.