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l'avant-première du destin
Normalement - normalement - j'aurais dû raconter cette anecdote insignifiante il y a trois semaines, mais comme je suis une feignasse, je ne l'ai pas fait.
Le 25 juin, jour de mes trente ans donc, je suis allé travailler à Bercy Village. On y ouvrait un nouveau magasin et on avait besoin de moi pour aller mettre en place le rayon librairie. Dans la mesure où l'enseigne ouvrait quatre jours plus tard, je me doutais que j'allais surtout faire du fignolage pour que le rayon librairie soit impec, et c'est là que ma longue expérience professionnelle allait faire la différence.
Je suis arrivé là-bas à 9h00 (on ne pouvait y aller plus tôt), pour pouvoir finir à 17h00 et rentrer chez moi à temps pour faire quelques courses et préparer un bon petit plat à ma copine. Je voulais faire une salade de truite fumée en entrée, puis des lasagnes aux courgettes, avec une sauce au fromage de chèvre à la place de la béchamelle, pas de dessert parce que je ne sais pas très doué dans ce domaine, le tout copieusement accompagné de vin rouge.
Je ne vais pas m'étendre sur cette journée de travail. Il y a juste à savoir que mes compétences professionnelles hors du commun ont été très largement sous-exploitées. Pourtant, l'enthousiasme de la responsable adjointe m'a vraiment fait croire que j'allais être utile :
-Tu t'occupes de quel rayon?
-Polar, SF, et je m'y connais en BD aussi.
-OH SUPER! Oh la la! Tu nous enlèves une épine du pied, oh c'est super, c'est vraiment justement dans ces rayons là qu'on a besoin d'aide.
-Oh, ok. Très bien.
-Ok. Donc tu vas mettre les équerres où il y a besoin, et si tu pouvais me faire une liste des auteurs dont il faudrait faire des équerres, tu vois. Les auteurs où il y a pas mal de livres en fait quoi."
Un babouin aurait pu faire ce travail.
***
En rentrant, je suis passé par le parc de Bercy pour rejoindre la ligne C du RER à Bibliothèque François Mitterrand. Il faisait vraiment beau, et j'ai fait le trajet avec Jérémy et sa femme qui avaient passé la journée au ciné de Bercy, ce qui était une façon plutôt agréable de finir une journée de boulot.
Devant le cinéma MK2, qui est sur le chemin, on s'est aperçu que Woody Allen présentait son prochain film en avant première. Il y avait des tapis rouges, des barrières, des colosses chauves en costard et des gens qui faisaient la queue.
***
J'étais en train de choisir le pinard quand mon téléphone a sonné. C'était Julie.
"Tu fais les courses?
-Ouais, j'allais payer là.
-Le mec de la boutique d'à côté m'a filé des places pour l'avant première du film de Woody Allen. Il voulait les donner à Loïc, mais il ne pouvait pas ce soir, et comme il n'y avait que moi, il me les a filé. Ca te dit?
Non.
-Oui.
-Ca te dérange pas? Je sais que tu faisais les courses pour me faire un bon petit plat, mais ça pourrait être sympa, on n'a jamais fait ça. Et puis, hé, c'est gratuit!"
C'est clair que c'était un argument de taille.
***
Devant le cinéma, c'était le bordel. Une foule pas possible, les gens qui voulaient voir Woody, ceux qui voulaient voir d'autres films, ceux qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient là, et les autres. On faisait la queue dans une file compacte qui n'avançait pas, si bien qu'on s'est demandé si on attendait au bon endroit. Je suis allé voir deux employés désagréables (ils le sont tous dans ce ciné) qui étaient derrière une table, à distribuer des entrées. Ils agissaient comme si ils étaient submergés alors qu'il n'y avait personne, envoyant chier les rares spectateurs qui arrivaient à les trouver - leur table était cachée par des affiches de film.
Du coup on a demandé à un des colosses chauve de la sécurité, très sympa, qui nous a dit qu'en fait on attendait au bon endroit depuis le début.
Et à côté de nous, dans la queue, Elodie, ma grande copine Elodie du lycée, que je n'avais pas vu depuis le mariage de Jérémy, et avec qui je n'étais pas allé au cinéma depuis... Ouh là... Depuis Harry Potter 3 je crois.
Il y a des gens, on est voué à les revoir, encore et toujours, c'est comme ça, quoi qu'il se passe, on les recroise, alors qu'on arrive pas à se voir quand on organise des trucs. Elodie fait partie de ces gens là. Je la croise par hasard en Ardèche en vacances, ou là au cinéma. On se retrouve côte à côte dans la queue alors qu'il y a des centaines de personnes présentes, alors que je ne voulais pas venir, alors que ces places étaient pour un collègue de Julie qui ne pouvait pas y aller. C'est comme ça. C'est le DESTIN.
Hé ouais meuf! Tu pourras pas te débarasser de moi! JAMAIS! T'es foutue! FOUTUE!
Allez, fais-moi une compile, tu seras mignonne.
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